François Rabelais

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François Rabelais

François Rabelais (Près de Chinon, Indre-et-Loire, entre 1483 et 1494 – Paris, 9 avril 1553) est un médecin et écrivain français de la Renaissance. Rabelais est l'un des humanistes les plus connus de la Renaissance, qui lutta pour renouveler, à la lumière de la pensée antique, l'idéal philosophique et moral de son temps.

Œuvre[modifier]

Pantagruel[modifier]

Quand Pantagruel fut né, qui fut bien esbahy et perplex ? Ce fut Gargantua son père. Car voyant d'un cousté sa femme Badebec morte, et de l'aultre son filz Pantagruel né, tant beau et tant grand, il ne sçavoit que dire ny que faire. Et le doubte que troubloit son entendement estoit, assavoir s'avoir s'il devoit pleurer pour le deuil de sa femme, ou rire pour la joye de son filz.
  • (fr) Quand Pantagruel fut né, qui fut bien ébahi et perplexe ? Ce fut Gargantua son père. Car voyant d'un côté sa femme Badebec morte, et de l'autre son fils Pantagruel né, si beau et si grand, il ne savait ni que dire ni que faire. Et le doute qui troublait son esprit était de savoir s'il devait pleurer pour le deuil de sa femme, ou rire pour la joie de son fils.
  • Pantagruel (1542), Rabelais, éd. Gallimard, 1964, chap. III, « Du dueil que mena Gargantua de la mort de sa femme Badebec », p. 67


Et à quoy passez vous le temps, vous aultres messieurs estudiens, audict Paris ? " Respondit l'escolier : « Nous transfretons la Sequane au dilucule et crepuscule ; nous deambulons par les compites et quadrivies de l'urbe ; nous despumons la verbocination latiale, et, comme verisimiles amorabonds, captons la benevolence de l'omnijuge, omniforme, et omnigene sexe feminin (...) »
  • (fr) Et à quoi passez-vous le temps, vous autres messieurs les étudiants de Paris ? Répondit l'écolier « Nous traversons la Seine à l'aube et au crépuscule, nous déambulons par les carrefours des rues et des chemins de la ville. Nous écumons la langue du Latium, et comme vraisemblables amoureux, nous cherchons à attraper la bienveillance de l'omnijuge, omniforme et omnigène sexe féminin (...)  »
  • Le texte se veut volontairement obscur puisqu'il fait intervenir un étudiant s'exprimant dans un langage truffé de barbarismes et de latinismes. La traduction perd l'esprit, le sens initial de ce discours.
  • Pantagruel (1542), François Rabelais, éd. Gallimard, 1964, chap. VI (« Comment Pantagruel rencontra un Limosin qui contrefaisoit le langaige Francoys »), p. 93 (texte intégral sur Wikisource)


Mais parce que, selon le saige Salomon, Sapience n'entre poinct en âme malivole, et science sans conscience n'est que ruine de l'âme, il te convient servir, aymer, et craindre Dieu, et en lui mettre toutes les pensées et tout ton espoir ; et par foi formée de charité , estre à lui adjoinct, en sorte que jamais n'en soys désemparé par péché.
  • (fr) Mais par ce que selon les dire du Sage Salomon, Sapience n'entre point en âme malveillante, et science sans conscience n'est que ruine de l'âme, il te conviens servir, aimer et craindre Dieu, et en lui remettre toutes tes pensées et tout ton espoir ; et par une foi charitable, lui être fidèle, en sorte que jamais tu ne t'en écartes par péché.
  • Pantagruel (1542), Rabelais, éd. Gallimard, 1964, chap. VIII, « Comment Pantagruel, estant à Paris, receult letres de son père Gargantua, et la copie d'icelles », p. 137


« Comment doncques eussent peu entendre ces vieulx resveurs le texte des loix, qui jamais ne virent bon livre de langue Latine, comme manifestement appert à leur stile, qui est stille de rammoneur de cheminée ou de cuysinier et marmitteux, non de juriconsulte ? »
  • (fr) « Comment donc ces vieux rêveurs auraient-ils compris les textes juridiques, eux qui jamais ne virent de bon livres latins, comme leur style le prouve, style de ramoneur de cheminées ou de cuisinier et marmiteux, non de juriconsulte ?  »
  • Pantagruel (1542), Rabelais, éd. Gallimard, 1964, chap. X, « Comment Pantagruel équitablement jugea d'une controverse merveilleusement obscure et difficile, si justement que son jugement fit dict fort admirable », p. 161-163 (texte intégral sur Wikisource)


O, compaing, si je montasse aussi bien que je avalle, je feusse desjà au dessus la sphère de la lune avecques Empédocles ! Mais je ne sçay que diable cecy veult dire : ce vin est fort bon et bien délicieux, mais plus j'en bois, plus j'ai de soif. Je croy que l'ombre de Monseigneur Pantagruel engendre les altérez, comme la lune fait les catharres.
  • (fr) O, compagnons, si je m'élevais autant que j'avale, je serais déjà au dessus de la sphère lunaire, avec Empédocle ! Mais je ne sais diable ce que ceci veut dire : ce vin est fort bon et bien délicieux, mais plus j'en bois, plus j'ai soif. Je crois que l'ombre de Monseigneur Pantagruel engendre les assoiffés, comme la lune fait les cathares.
  • Pantagruel (1542), Rabelais, éd. Gallimard, 1964, chap. XIV, « Comment Panurge racompte la manière comment il eschappa de la main des Turcs », p. 199 (texte intégral sur Wikisource)


Panurge
Incontinent m'en alloys à quelques porteur de coustretz gros et gras, et faisoys moy-mesmes le mariage ; mais, premier que que lui monstrer les vieilles, je lui monstroys les escutz, disant : « Compère, voicy qui est à toy si tu veux fretinfretailler un bon coup ». Dès lors les pauvres hayres bubajalloient comme vieulx mulletz : ainsi leur faisoys bien aprester à bancqueter, boire du meilleur, et force espiceries pour mettre les vieilles en ruyt et en chaleur. Fin de compte, ils besognoyent comme toutes bonnes âmes, sinon que à celles qui esoyent horriblement villaines et défaictes, je leur faisoys mettre un sac sur le visaige.
  • (fr) Incontinent j'allais à la rencontre de quelque porteurs de fagots gros et gras, et faisais moi-même le mariage ; mais, avant de lui montrer les vieilles, je lui montrai les écus, disant : « Compère, voici qui est à toi si tu veux tailler dans le fretin un bon coup  ». Dès lors les pauvres hères s'excitaient en vain comme de vieux mullets : ainsi je les faisais bancqueter, boire du meilleur, et prendre force épices pour mettre les vieilles en rut en chaleur. Finalement, ils besognèrent comme toutes bonnes âmes, sinon bien qu'à celles horriblement vilaines et défaites, je leur faisais mettre un sac sur le visage.
  • Pantagruel (1542), Rabelais, éd. Gallimard, 1964, chap. XVII, « Comment Panurge guaingnoyt les pardons et maryoit les vieilles, et des procès qu'il eut à Paris », p. 247 (texte intégral sur Wikisource)


« Panurge n'eut achevé ce mot que tout les chiens qui estoient en l'église accoururent à ceste dame, pour l'odeur des drogues que il avoit espandu sur elles. Petitz et grands, groz et menuz, tous y venoient, tirans le membre et la sentens et pissans partout sur elle. »
  • (fr) « Panurge n'eut pas achevé ce mot que tous les chiens présents dans l'église accoururent à cette dame, en raison des drogues répandues sur elles. Petits et grands, gros et menus, tous venaient, tirant le membre et la sentant et pissant partout sur elle.»
  • Panurge tire la drogue des entrailles d'une chienne en chaleur.
  • Pantagruel (1542), Rabelais, éd. Gallimard, 1964, chap. XXII, « Comment Panurge feist un tour à la dame Parisianne qui ne fut poinct à son advantaige », p. 307 (texte intégral sur Wikisource)


Loup Garou doncques s'adressa à Pantagruel avec une masse toute d'acier, pesante neuf mille sept cens quintaulx deux quarterons, d'acier de Calibes, au bout de laquelle estoient trèze poinctes de dyamans, dont la moindre estoit aussi grosse comme la plus grosse cloche de Nostre-Dame (il s'en failloit par adventure l'espesseur d'un ongle, ou au plus, que je ne mente d'un doz de ces cousteaulx qu'on appelle couppe-aureille ; mais pour un petit, ne avant ne arrière) ; et estoit phée, en manière, que jamais ne pouvoit rompre, mais au contraire, tout ce qu'il en touchoit rompoit incontinent.
  • (fr) Loup Garou s'adressa à Pantagruel avec une masse toute d'acier, de neuf-mille-sept-cents quintaux deux et quarterons, d'acier de Calibes, au bout de laquelle étaient treize pointes de diamants, dont la moindre était aussi grosse que la plus grosse cloche de Notre-Dame (il s'en fallait de l'épaisseur d'un ongle ou, au plus, d'un dos de ces couteaux nommés coupe-oreilles, mais un petit, ni plus, ni moins) ; et était fait, en manière que jamais ne pouvait rompre, mais au contraire, tout ce qu'il en touchait rompait sans résister.
  • Pantagruel (1542), Rabelais, éd. Gallimard, 1964, chap. XXIX, « Comment Pantagruel deffit les troy cens géans armez de pierres de taille, et Loup Garou leur capitaine », p. 373 (texte intégral sur Wikisource)


Epistémon
« Je veiz Diogenes qui se prelassoit en magnificence, avec une grand robbe de poulpre, et un sceptre en sa dextre ; et faisoit enrager Alexandre le Grand, quand il n'avoit bien repetassé ses chausses et le payoit en grands coups de baston.»
  • (fr) Je vis Diogène qui se prélassait avec éclat, dans une grande robe de pourpre, un sceptre en sa main droite ; et enrageait Alexandre le Grand, quand il ne rapiéçait pas bien ses chausses ; et le payait en coups de bâtons.
  • Epistémon, revenu des Enfers, rapporte que la hiérarchie terrestre y est inversée.
  • Pantagruel (1542), Rabelais, éd. Gallimard, 1964, chap. XXIX, « Comment Epistémon, qui avoit la couppe testée, fut guéry habillement par Panurge, et des nouvelles des diables et des damnez », p. 395 (texte intégral sur Wikisource)


...si désirez estre bons Pantagruélistes (c'est-à-dire vivre en paye, joye, santé, faisans toujours grande chère), ne vous fiez jamais en gens qui regardent par un pertuys.
  • (fr) ... si vous désirez être bon Pantagruélistes (c'est-à-dire vivre en paix, joie, santé, faisant toujours grande chère), ne vous fiez jamais aux gens qui regardent par une serrure.
  • Un pertuis est, en l'occurrence, plus exactement un mot vieilli pour dire trou. Rabelais fait allusion aux Inquisiteurs.
  • Pantagruel (1542), Rabelais, éd. Gallimard, 1964, chap. XXIX, « Comment Epistémon, qui avoit la couppe testée, fut guéry habillement par Panurge, et des nouvelles des diables et des damnez », p. 395 (texte intégral sur Wikisource)


Gargantua[modifier]

AUX LECTEURS :

Amis lecteurs, qui ce livre lisez,
Despouillez vous de toute affection ;
Et, le lisant, ne vous scandalisez :
Il ne contient mal ne infection ;
Vray est qu'icy peu de perfection
Vous apprendrez, si non en cas de rire ;
Aultre argument ne peut mon cueur elire,
Voyant le dueil qui vous mine et consomme
Mieulx est de ris que de larmes escripre,

Pour ce que rire est le propre de l'homme.


Mais veistes vous onques chien rencontrant quelque os medullare ? C'est comme dict Platon lib. II de rep. la beste du monde plus philosophe. Si veu l'avez : vous avez peu noter de quelle devotion il le guette : de quel soing il le garde : de quelle ferveur il le tient, de quel prudence il l'entomme : de quelle affection il le brise : et de quelle dilligence il le sugce. Qui le induict à ce faire ? Quel est l'espoir de son estude ? quel bien pretend il ? Rien plus qu'un peu de mouelle. Vray est que ce peu, plus est delicieux que le beaucoup de toutes aultres : pource que la mouelle est aliment élabouré à perfection de nature, comme dict Galen III. facu. natural. et XI de usu parti. À l'exemple d'icelluy vous convient estre saiges pour fleurer, sentir, et estimez ces beaulx livres de haulte gresse, legiers au prochaz, hardis à la rencontre. Puis par curieuse leçon, et meditation frequente rompre l'os, et sucer la sustantificque mouelle.
  • (fr) Ne vîtes vous jamais un chien rencontrant quelque os médullaire ? C'est comme dit Platon Livre II de Rép. la bête du monde la plus philosophe. Si vous l'avez vu : vous avez pu noter avec quelle dévotion il le guette, quel soin il le garde, quelle ferveur il le tient, quelle prudence il l'entame, quelle passion il le brise, quelle diligence il le suce. Qu'est-ce qui le conduit ainsi ? Quel est l'espoir de ses recherches ? quel bien prétend-il ? Rien de plus qu'un peu de moelle. Il est vrai que ce peu est plus délicieux que le beaucoup de plein d'autres : parce que la nature est un aliment élaboré naturellement à la perfection, comme écrit Galien, De fac. nat. III, et De usu part. XII. De même, il vous convient d'être sage pour flairer, sentir, et estimer ces beaux livres de grande valeur, faciles à l'approche, hardis à l'attaque. Puis par lecture attentive, et méditation fréquente, rompre l'os et sucer la substantifique moelle.
  • Gargantua (1542), Rabelais, éd. Gallimard, 2007, Prologue de l'auteur, p. 37


Lors flaccons d'aller : jambons de troter, goubeletz de voler, breusses de tinter. « Tire, baille, tourne, brouille. (...) Qui feut premier soif ou beuverye ? Soif. Car qui eust beu sans soif durant le temps de innocence ? Beuverye. Car privatio presupponit habitum.(...)Je mouille, je humecte, je bois. Et tout de peur de mourir. Beuvez toujours, vous ne mourez jamais. (...) Le grand dieu feist les planettes : et nous faisons les plats nez. J'ay la parolle de dieu en bouche : Sitio.(...) O lachryma Christi : c'est de la Devinière, c'est vin pineau.
  • (fr) Alors les flacons circulèrent, les jambons trottèrent, les gobelets volèrent, les vases de tinter. « Débouche, donne, tourne, brouille. (...) Lequel fut le premier de soif ou de beuverie ? Soif. Car qui eut bu dans le temps de l'innocence ? Beuverie. Car la privation suppose l'habitude. (...) Je mouille, j'humecte, je bois. Et tout de peur de mourir. Buvez toujours, vous ne mourez jamais. (...) Le grand dieu fit les planètes : et nous faisons les plats nez. J'ai la parole de Dieu en bouche : Je bois. (...) O lacryma Christi : c'est de la Devenière, c'est vin pineau.
  • Il s'agit de propos décousus évoquant une cacophonie de buveurs. La première formule latine vient de la philosophie scolastique, la seconde est l'une des dernières paroles du Christ. Le lachryma Christi est un célèbre muscat italien, la Devinière un lieu d'enfance de Rabelais.
  • Gargantua (1542), Rabelais, éd. Gallimard, 2007, chap. V, « Les propos des bienyvres », p. 69-75


Gargantua depuis les troys jours jusques à cinq ans feut nourry et institué en toute discipline convenente par le commandement de son pere, et celluy temps passa comme les petitz enfants du pays, c'est assavoir à boyre, manger, et dormir : à manger, dormir et boyre : à dormir, boyre et manger.
  • (fr) Gargantua, de trois jours jusqu'à cinq ans fut élevé et instruit conformément à la discipline commandée par son père, et il passa ce temps comme les petits enfants du pays, à savoir boire, manger et dormir ; à manger, dormir et boire ; à dormir, boire et manger.
  • Gargantua (1542), Rabelais, éd. Gallimard, 2007, chap. XI, « De l'adolescence de Gargantua », p. 121


Mais concluent je dys et mantiens, qu'il n'y a tel torchecul que d'un oyzon bien dumeté, pourveu qu'on luy tienne la teste entre les jambes. Et m'en croyez sus mon honneur. Car vous sentez au trou du cul une volupté mirifique, tant par la douceur d'icelluy dumet, que par la chaleur tempérée de l'oizon, laquelle est communicquée au boyau culier et aultres intestines, jusques à venir à la région du cueur et du cerveau.
  • (fr) Mais pour conclure, je dis et je maintiens qu'il n'y a rien de tel comme torchecul qu'un oisillon bien duveteux, pourvu qu'on lui tienne bien la tête entre les jambes. Et croyez-moi sur mon honneur. Car vous sentez au trou du cul une volupté mirifique, tant par la douceur du duvet, que par la chaleur tempérée de l'oisillon, laquelle est facilement communiquée au rectum et autres intestins, jusqu'à venir à la région du cœur et du cerveau.
  • Gargantua (1542), Rabelais, éd. Gallimard, 2007, chap. XIII, « Comment Grandgousier congneut l'esperit merveilleux de Gargantua à l'invention d'un torchecul », p. 147


Car le peuple de Paris est tant sot, tant badault, et tant inepte de nature : q'un basteleur, un porteur de rogatons, un mulet avecques ses cymbales, un vieilleux au mylieu d'un carrefour assemblera plus de gens, que ne feroit un bon prescheur evangelicque. Et tant molestement le poursuyvirent : qu'il feut contrainct soy reposer sur les tours de l'eglise nostre dame. (...) Lors en soubriant destacha sa belle braguette, et tirant sa mentule en l'air les compissa si aigrement, qu'il en noya deux cens soixante mille, quatre cens dix et huyt. Sans les femmes et les petits enfantz.
  • (fr) Car le peuple de Paris est si sot, si badaud et si inepte de nature qu'un bateleur, un porteur de requêtes, un mulet muni de grelots, un joueur de vielle au milieu d'un carrefour assemblera plus de gens que ne fera un bon prêcheur évangélique. Et si importunément le poursuivirent qu'il fut contraint de se réfugier sur les tours de Notre-Dame.(...) Alors en souriant détacha sa belle braguette, et tirant sa mentule en l'air les compissa si aigrement, qu'il en noya deux-cent-soixante-mille-quatre-cent-dix-huit.
  • Gargantua (1542), Rabelais, éd. Gallimard, 2007, chap. XVII, « Comment Gargantua paya sa bien venue es Parisiens, et comment il print les grosses cloches de l'eglise nostre Dame », p. 167-169


Quand Ponocrates congneut la vitieuse maniere de vivre de Gargantua, delibera aultrement le instituer en lettres, mais pour les premiers jours le tolera : considérant que nature ne endure mutations soubdaines, sans grande violence.
  • (fr) Quand Ponocrates connut la manière vicieuse dont Gargantua vivait, il décida de changer son étude des lettres, mais la toléra pour les premiers jours, considérant que la nature n'endure des mutations soudaines sans grande violence.
  • Ponocrates, le précepteur de Gargantua, adopte ici un axiome médiéval de l'école médicale de Salerne. Voir les notes de Mireille Huchon dans la présente édition.
  • Gargantua (1542), Rabelais, éd. Gallimard, 2007, chap. XXIII, « Comment Gargantua feut institué par Ponocrates en telle discipline, qu'il ne perdoit heure du jour », p. 219


Es uns escarbouilloyt la cervelle, es aultres rompoyt bras et jambes, es aultres deslochoyt les spondyles du coul, es aultres demoulloyt les reins, avalloyt le nez, poschoyt les yeulx, fendoyt les mandibules, enfonçoyt les dens en la gueule, descroulloyt les omoplates, sphaceloyt les greves, desgondoit les ischies : debezilloit les fauciles.
  • (fr) Aux uns écrabouillait la cervelle, aux autres rompait bras et jambes, aux autres démettait les vertèbres du cou, aux autres disloquait les reins, tranchait le nez, pochait les yeux, fendait les mandibules, enfonçait les dents dans la gueule, défonçait les omoplates, gangrenait les jambes, déboîtait les hanches, mettait en pièce jambes et avant-bras.
  • Frère Jean commet ce massacre contre l'armée de Picrochole, qui envahit la vigne de l'abbaye.
  • Gargantua (1542), Rabelais, éd. Gallimard, 2007, chap. XXVII, « Comment un moine de Seuillé saulva le cloz de l'abbaye du sac des ennemys », p. 267


Gargantua
Il n'y a rien si vray que le froc, et la cogule tire à soy les opprobes, injures et maledictions du monde, tout ainsi comme le vent dict Cecias attire les nues. La raison peremptoire est : parce qu'ilz mangent la merde du monde, c'est à dire les pechez, et comme machemerdes l'on rejecte en leur retraictz : ce sont leurs convents et abbayes, separez de conversation politique comme son les retraicz d'une maison
  • (fr) Il n'y a rien de si vrai que le froc et la cagoule attirent les opprobres, injures et médisances du monde, comme le vent Cecias attire les nuées. La raison péremptoire vient du fait qu'ils mâchent la merde du monde, c'est-à-dire les péchés, et on les éloigne dans leurs retraites comme des machemerdes : les couvents et les abbayes, séparées des conversations politiques comme les commodités d'une maison.
  • Gargantua (1542), Rabelais, éd. Gallimard, 2007, chap. XXXX, « Pourquoy les Moynes sont refuyz du monde, et pourquoy les ungs ont le nez plus grand que les aultres », p. 363


Grandgrousier
Le temps n'est plus d'ainsi conquestez les royaulmes avecques dommaige de son prochain frere christian, ceste imitation des anciens Hercules, Alexandres, Hannibalz, Scipions, Cesars et aultres telz est contraire à la profession de l'evangile, par lequel nous est commandé, guarder, saulver, regir et administrer chascun ses pays et terres non hostilement envahir les autres. Et ce que les Sarrazins et Barbares jadis appelloient prouesses, maintenant nous appellons briguanderies, et mechansetez.
  • (fr) Le temps n'est plus de conquérir les royaumes en détruisant son prochain, son frère chrétien, cette imitation des anciens Hercule, Alexandre, Hannibal, Scipion, César et semblables : agir comme tel est contraire à l'enseignement de l'évangile par lequel nous est commandé par, garder, sauver, régir et administrer chacun ses pays et terres, non envahir les autres avec hostilité. Ce que les Sarrasins et les Barbares appelèrent jadis prouesses, maintenant nous l'appelons pillages et malfaisance.
  • Gargantua (1542), Rabelais, éd. Gallimard, 2007, chap. XLVI, « Comment Grandgousier traicta humainement Toucquedillon prisonnier », p. 409


Grandgrousier
Toute leur vie estoit employée non par loix, statuz ou reigles, mais selon leur vouloir et franc arbitre. Se levoient du lict quand bon leur sembloit : beuvoient, mangeoient, travailloient, dormoient quand le desir leur venoit. Nul ne les esveilloit, nul ne les parforceoit ny à boyre ny a manger, ny à faire chose aultre quelconques. Ainsi l'avoit estably Gargantua. En leur reigle n'estoit que ceste clause. Fay ce que vouldras. Parce que gens liberes, biens nez, bien instruictz, conversans en compaignies honnestes ont par nature un instinct, et aiguillon, qui tousjours les poulse à faictz vertueux, et retire du vice, lequel ilz nommoient honneur.
  • (fr) Toute leur vie était régie non par des lois, des statuts ou des règles, mais selon leur volonté et leur libre arbitre. Ils sortaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur en venait. Nul ne les éveillait, nul ne les obligeait à boire ni à manger, ni à faire quoi que ce soit. Ainsi en avait décidé Gargantua. Et toute leur règle tenait en cette clause : Fais ce que tu voudras. Parce que les gens libres, bien nés, bien éduqués, vivant en bonne société, ont naturellement un instinct, un aiguillon qu'ils appellent honneur et qui les pousse toujours à agir vertueusement et les éloigne du vice.
  • Gargantua (1542), Rabelais, éd. Gallimard, 2007, chap. LVII, « Comment estoient reiglez les Thelemites à leur manière de vivre », p. 489


Tiers Livre[modifier]

Attendez un peu que je hume quelque traict de ceste bouteille : c'est mon vray et seul Helicon, c'est ma fontaine cabaline, c'est mon unicque enthusiasme. Icy beuvant je delibere, je discours, je resoulz et concluds. Après l'epilogue je riz, j'escripz, je compose, je boy. Ennius beuvant escrivoit, escrivant beuvoit. Æschylus(si a Plutarche foy avez in Symposiacis) beuvoit composant, beuvant composoit. Homere jamais n'escrivit à jeun. Caton jamais n'escrivit que après boyre. Affin que ne me dictez ainsi vivre sans exemple des biens louez et mieulx prisez .
  • (fr) Attendez un peu que je respire quelque trait de cette bouteille : c'est mon vrai et seul Hélicon, c'est ma fontaine chevaline, c'est mon unique inspiration. En buvant, je réfléchis, je discours, je résouds et conclus. Après l'épilogue, je ris, j'écris, je compose, je bois. Ennius buvant écrivait, écrivant buvait. Eschyle (si vous en croyez les Symposiaques de Plutarque) buvait composant, composant buvait. Homère n'écrivit jamais à jeun. Caton n'écrivait qu'après avoir bu. Ne me dites donc pas que je vis sans suivre l'exemple des biens loués et des plus estimés.
  • L'Hélicon est la montagne des muses d'où Pégase fit jaillir d'un coup de sabot la source Hippocrène (littéralement "source du cheval").
  • Tiers Livre (1552), Rabelais, éd. Gallimard, 1966, Prologue, p. 73


Noterez doncques icy, Beuveurs, que la maniere d'entretenir et retenir pays nouvellement conquestez n'est (comme a esté l'opinion erronée de certains espritz tyrannicques à leur dam et deshonneur) les peuples pillant, forçans, angariant, ruinant, mal vexant et regissant avecques verges de fer ; brief, les peuples mangeant et devorant, en la façon que Homere appelle le roy inique Demovore, c'est à dire mangeur de peuple..
  • (fr) Notez ici, Buveurs, que la manière d'entretenir et de conserver un pays nouvellement conquis n'est pas (contrairement à l'opinion de certains esprits tyranniques, à leur dam et déshonneur) de piller, forcer, guerroyer, ruiner et d'humilier les peuples et de les gouverner avec des verges de fer ; bref, les peuples mangeant et dévorant, de même qu'Homère appelle le roi inique Démovore, c'est-à-dire mangeur de peuple.
  • Tiers Livre (1552), Rabelais, éd. Gallimard, 1966, chap. I, « Comment Pantagruel transporta une colonie de Utopiens en Dipsodie », p. 85-87


Panurge
Au contraire representez vous un monde autre, on quel chascun preste, un chacun doibve, tous soient debteurs, tous soient presteurs.
  • (fr) Imaginez au contraire un monde autre, dans lequel chacun prête, chacun doit, tous étant endettés, tous étant créanciers.
  • Tiers Livre (1552), Rabelais, éd. Gallimard, 1966, chap. IV, « Continuation du discours de Panurge, à la louange des presteurs et debteurs », p. 119


Panurge
Je ne bastis que pierres vives, ce sont hommes.
  • (fr) Je ne bâtis que pierres vives, ce sont hommes.
  • Tiers Livre (1552), Rabelais, éd. Gallimard, 1966, chap. VI, « Pourquoy les nouveaulx mariez estoient exemptz d'aller en guerre », p. 135


Pantagruel
Chascun abonde en son sens, mesmement en choses foraines, externes et indifferentes, lesquelles de soy ne sont bonnes ne malvaises, pource qu'elles ne sortent de nos cœurs et pensées, qui est l'officine de tout bien et de tout mal : bien, si bonne est, et par le esprit munde reiglée l'affection ; mal, si hors æquité par l'esprit maling est l'affection dépravée.
  • (fr) Chacun abonde en son sens, même pour des affaires étrangères, externes et indifférentes, lesquelles ne sont ni bonnes ni mauvaises, puisqu'elles ne viennent ni de nos cœurs et de nos pensées, siège de tout bien et de tout mal : bien, si l'esprit pur et bon règle la passion ; mal, si la passion est dépravée hors de la justice par volonté diabolique.
  • Tiers Livre (1552), Rabelais, éd. Gallimard, 1966, chap. VII, « Comment Panurge avoit la pusse en l'aureille et desista porter sa magnifique braguette », p. 143


Frère Jean
Car les bons peres de religion par certaine cabalisticque institution des anciens non escripte, mais baillée de main en main, soy levans, de mon temps, pour matines, faisoient certains præmbules notables avant d'entrer en l'eclise. Fiantoient aux fiantoirs, pissoient aux pissouars, crachoient aux crachoirs, toussoient aux toussoirs melodieusement, resvoient aux resvoirs, affin de rien immonde porter au service divin. Ces choses faictes, devotement se transportoient en la saincte chappelle (ainsi estoit en leurs rebus nommée la cuisine claustrale) et devotement sollicitoient que dès lors feust au feu le beuf mis pour le desjeuner des religieux freres de Nostre Seigneur.
  • (fr) Car les bons pères de religion, suivant une règle cabalistique non écrite, mais transmise de génération en génération, en se levant, de mon temps, pour les mâtines, faisaient certains préparatifs remarquables avant d'entre dans l'église. Fiantaient aux fiantoirs, pissaient aux pissoirs, crachaient aux crachoirs, toussaient aux toussoirs mélodieusement, révaient aux révoirs, afin de rien de ne rien porter d'immonde au service divin. Ces choses faites, il se dirigeaient dévotement vers la sainte chapelle(ainsi était nommé en leur palais la cuisine claustrale) et dévotement sollicitaient qu'un bœuf fut mis au feu pour le déjeuner des religieux de Notre Seigneur.
  • Tiers Livre (1552), Rabelais, éd. Gallimard, 1966, chap. XV, « Comment Excuse de Panurge et exposition de Caballe monasticque en matiere de beuf sallé », p. 223


Her Trippa
Voulez-vous (dist Her Trippa) en sçavoir plus amplement la vérité par pyromantie, par aëromantie, celebrée par Aristophanes en ses Nuées, par hydromantie, par lecanomantie, tant jadis celebrée entre les Assyriens, et exprovée par Hermolaus Barbarus ? Dedans un bassin plein d'eaue je te monstreray ta femme future, brimballant avec deux rustres.
  • (fr) Voulez-vous connaitre davantage la vérité par pyromancie, par aéromancie, célébrée par Aristophane dans ses Nuées, par hydromantie, par lecanotmancie, célébrée au plus au point jadis par les Assyriens, et éprouvée par Ermolao Barbaro ? Dans un bassein plein d'eau je te montrerai ta femme future, forniquant avec deux rustres.
  • Les formes de divinations, fictives ou avérées, reposent respectivement sur le feu, l'air, l'eau et les miroirs. La liste complète en comporte de plus résolument grotesques, comme la tyromancie (par le fromage) ou axinomancie (par la hache). Ermolao Barbaro (1454-1493) est un humaniste vénitien, traducteur des œuvres d'Aristote.
  • Tiers Livre (1552), Rabelais, éd. Gallimard, 1966, chap. XXV, « Comment Panurge se conseille à Her Trippa », p. 325


Panurge
Je crains que par longue absence de nostre roy Pantagruel est que je me face compaignie, voire allast il à tous les diables, ma femme me fasse coqu. Voy là le mot peremptoire : car tous ceulx à qui j'en ay parlé me en menassent et afferment qu'il me est ainsi prædestiné des cieulx.
  • (fr) Je crains qu'à la suite d'une longue absence en compagnie de notre roi Pantagruel, où il ira voir à tous les diables, ma femme me fera cocu. Voici la conclusion péremptoire : car tous ceux à qui j'en ai parlé me le font craindre et affirment que c'est une prédestination céleste.
  • Tiers Livre (1552), Rabelais, éd. Gallimard, 1966, chap. XXVIII, « Comment frere Jean reconforte Panurge sus le doubte de Coquage », p. 353


Rondibilis
Quand je diz femme, je diz un sexe tant fragil, tant variable, tant muable, tant inconstant, et imperfect, que Nature me semble (parlant en tout honneur et reverence) s'estre esguaré de ce bon sens par lequel elle avait créé et formé toute chose, quand elle a basty la femme ; et, y ayant pensé cent et cinq foys, ne sçay à quoi m'en résoudre sinon que, forgeant la femme, elle a eu esguard a la sociale delectation de l'home et à la perpetuité de l'espece humaine, beaucoup plus qu'à la perfection de l'individuale mulierbrité.
  • (fr) Quand je dis femme, je dis un sexe si fragile, si variable, si changeant, si inconstant et imparfait, que la nature me semble (parlant en tout honneur et révérence) s'être égaré du bon sens par lequel elle avait créé et formé toute chose, quand elle a inventé la femme ; et, y ayant pensé cent cinq fois, ne sais à quoi m'en résoudre sinon que, forgeant la femme, elle a eu égard à la délectation sociale de l'homme et à la perpétuation de l'espèce humaine, beaucoup plus qu'à la perfection de la particularité féminine.
  • Tiers Livre (1552), Rabelais, éd. Gallimard, 1966, chap. XXXII, « Comment Rondibilis declaire Coquäge estre naturellement des apennages de mariage », p. 399-401


Aultrement est dicte Pantagruelion par ses vertus et singularitez ; car, comme Pantagruel a esté l'idée et exemplaire de toute joyeuse perfection ( je croys que personne de vous aultre, beuveurs, n'en doubte), aussi en Pantagruelion je recognoys tant de vertus, tant d'énergie, tant de perfection, tant d'effectz admirables, que, si elle eust esté en ses qualitez congneue lors que les arbres (par la relation du Prophete) feirent election d'un roy de boys pour les regir et les dominer, elle sans doubte eust emporté la pluralité des voix et des suffrages.
  • (fr) Le nom de Pantagruelion vient également de ses vertus et des ses singularités ; car, de même que Pantagruel fut l'idée et l'exemple de toute joyeuse perfection (je crois que personne d'entre vous, buveurs, n'en doute), de même je reconnais dans le Pantagruélion tant de vertus, tant d'énergie, tant de perfection, tant d'effets admirables, que, si elle sis qualités étaient connues lorsque les arbres (selon la relation du Prophète) firent élection d'un roi de bois pour les régir et les dominer, elle aurait sans doute emporté la majorité des voix et des suffrages.
  • La longue et élogieuse description du Pantagruelion qui conclut le roman rappelle le chanvre. L'allusion biblique est tirée du livre des Juges, où il est rapporté par le prophète Jonathan l'élection d'un roi des arbres, royauté qui échoit au buisson.
  • Tiers Livre (1552), Rabelais, éd. Gallimard, 1966, chap. LI, «  Pourquoy est dicte Pantagruelion, et des admirables vertus d'icelle », p. 573


Quart Livre[modifier]

Mais la calumnie de certains Canibales, misanthropes, agelastes, avoit tant contre moy esté atroce et desraisonnée, quelle avoit vaincu ma patience : et plus n'estoit deliberé en escrire un Iota. Car l'une des moindres contumelies dont ilz usoient, estoit, que telz livres tous estoient farciz d'heresies diverses : n'en povoient toutes fois une seulle exhiber en endroict aulcun : de folastrerie joyeuses hors l'offence de Dieu, et du Roy, prou (c'est le subjet et theme unicque d'iceilx livres) d'heresies poinct : sinon perversement et contre tout usaige de raison et de languaige commun, interpretans ce que à poine de mille fois mourir, si autant possible estoit, ne vouldrois avoir pensé : comme qui pain, interpretroit pierre : poisson, serpent : œuf, scorpion.
  • (fr) Mais la calomnie de certains cannibales, misanthropes, agelastes, avait était si atroce et déraisonnée à mon encontre, qu'elle avait vaincu ma patience ; et je ne désiré plus écrire un iota. Car l'une de leurs moindre injures était que de tels livres étaient farcis d'hérésies diverses : ils ne pouvaient toutefois en dévoiler aucune et nulle part, beaucoup de folatries joyeuses sans offense de Dieu et du Roi (c'est l'unique thème et sujet de ces livres) mais non d'hérésies, sauf à interpréter de travers, contre tout usage de la raison et de la langue commune, interprétations pour lesquelles j'aurais préféré mille fois mourir plutôt que de les avoir pensé, si cela était possible : lisait pierre à la place de pain, le serpent pour le poisson, le scorpion pour l'œuf.
  • Rabelais s'adresse à Odet de Coligny, cardinal de Chatillon, à qui il doit le privilège royal de 1550. Ses ennemis à qui il fait référence ici sont soit Putherbe, Calvin ou les théologiens de la Sorbonne. Agelaste veut dire dépourvu de rire.
  • Quart Livre (1552), Rabelais, éd. Gallimard, 1998, Epitre dédicatoire à Odet de Chatillon, p. 33-35


Soubdain, je ne sçay comment, le cas feut subit, je ne eut loisir le consyderer. Panurge sans aultre chose dire jette en mer son mouton criant et bellant. Tous les aultres moutons crians et bellans en pareille intonation commencerent soy jecter et saulter en mer aprés la file. La foulle estoit à qui le premier y saulteroit aprés leur compaignon. Possible n'estoit les en guarder. Comme vous sçavez estre du mouton le naturel, tous jours suyvre le premier, quelque part qu'il aille. Aussi le dict Aristoteles lib. 9 de histo. animal. estre le plus sot et inepte animant du monde.
  • (fr) Soudain, je ne sais comment cela est arrivé, je n'eus le temps de l'observer, Panurge, sans rien ajouter, jette son mouton, criant et bêlant, dans la mer. Tous les autres moutons criant et bêlant d'une même intonation commencèrent à se jeter et sauter dans la mère successivement. Le troupeau se disputait la première place pour sauter après leur compagnon. Impossible de les en empêcher. Comme vous savez être dans la nature du mouton de suivre le premier, quelque part, où qu'il aille. Ainsi Aristote, dans Histoire des animaux, liv. 9, le dit être le plus sot et inepte être animé du monde.
  • Quart Livre (1552), Rabelais, éd. Gallimard, 1998, chap. VIII, « Comment Panurge feist en mer noyer le marchant et les moutons », p. 137


Quand un moine, prebstre, usurier, ou advocat veult mal à quelque gentilhome de son pays, il envoye vers luy un de ces Chiquanous. Chiquanous le citera, l'adjournera le oultragera le injurira impudentement, suyvant son record et instruction : tant que le gentilhomme, s'il n'est paralytique de sens, et plus stupide qu'une Rane Gyrine, sera constrainct luy donner bastonnades, et coups d'épée sus la teste, ou la belle jarretade, ou mieulx le jecter par les crenaulx et fenestres de son chasteau. Cela faict, voylà Chiquanous riche pour quatre moys. Comme si coups de bastons feussent ses naïfves moissons. Car il aura du moine, de l'usurier, ou advocat salaire bien bon : et reparation du gentilhome aulcunefois si grande et excessive que le gentilhomme y perdra tout son avoir : avecques dangier de miserablement pourrir en prison : comme s'il eust frappé le Roy.
  • (fr) Quand un moine, prêtre, usurier ou avocat veut du mal à quelque gentilhomme de son pays, il lui envoie un Chicanous. Le Chicanous l'interpellera, l'assignera, l'outragera, l'injurira sans pudeur, suivant son rapport et ses instructions, si bien que le gentilhomme, s'il n'est paralytique de sens, ni plus insensible qu'un têtard, sera contraint lui donner des bastonnades, des coups d'épées sur la tête, ou sur les jarrets, ou mieux le jeter par les créneaux et fenêtres de son château. Cela fait, voilà Chicanous riche pour quatre mois. Comme si les coups de bâtons étaient ses moissons naturelles. Car il aura du moine, de l'usurier oou de l'avocat un salaire conséquent, avec la réparation du gentilhomme, si grande et excessive qu'il y perdra tout son avoir, avec le danger de pourrir mérisablement en prison, comme s'il avait frappé le roi.
  • Quart Livre (1552), Rabelais, éd. Gallimard, 1998, chap. XII, « Comment Pantagruel passa Procuration et de l'estrange maniere de vivre entre les Chicquanous », p. 171


O que troys et quatre foys heureulx dont ceulx qui plantent chous. O Parces que ne me fillastez vous pour planteur de Chous ? O que petit est le nombre de ceulx à qui Juppiter a telle faveur porté, qu'il les a destinez a planter chous. Car ilz ont tousjours en terre un pied : l'aultre n'est jamais loing. Dispute de felicité et bien souverain qui vouldra, mais quiconques plante Chous est præsentement par mon decret declairé bien heureux, à trop meilleure raison que Pyhrron estant en pareil dangier que nous sommes, et voyant un pourceau prés le rivaige qui mangeoit de l'orge espandu, le declaira bien heureux en deux qualitez, sçavoir est qu'il avoit orge à foison, et d'abondant estoit en terre. Ha pour manoir deificque et seigneurial il n'est qur le plancher des vaches.
  • (fr) O qu'is sont trois et quatre fois heureux ceux qui plantent des choux ! O Parques, pourquoi ne m'avoir pas tissé une vie de planteur de choux ? O qu'il est petit le nombre de ceux à qui Jupiter accorda une telle ferveur, être destiné à planter des choux. Car ils ont toujours un pied à terre, l'autre n'est jamais loin. Débat de la félicité et du souverain bien qui voudra, mais quiconque plante choux est à présent par mon décret déclaré bienheureux, et ce avec la raison suprême que Pyrrhon, étant dans un danger pareil au nôtre, et voyant un pourceau près du rivage qui mangeait de l'orge répandu, le déclara bien heureux pour deux motfis, à savoir son orge à foison, et plus encore le fait qu'il sur terre ferme. Ah, pour manoir déifique et seigneurial, il n'est que le plancher des vaches.
  • Première attestation de l'expression terminant la dernière phrase.
  • Quart Livre (1552), Rabelais, éd. Gallimard, 1998, chap. XVIII, « Comment Pantagruel evada une forte tempeste en mer », p. 225


La denomination, dist Epistemon à Pantagruel, de ces deux vostre coronelz Riflandouille et Tailleboudin en cestuy conflict nous promect asceurance, heur, et victoire, si par fortune ces Andouilles nous vouloient oultrager.
  • (fr) Le nom de vos deux colonels, Riflandouille et Tailleboudin, dit Epistémon à Pantagruel, nous promet de l'audace, de la chance et la victoire, si par hasard ces Andouilles voulaient nous outrager.
  • Les Andouilles prennent par erreur Pantagruel et sa troupe pour Quaresmeprenant, leur ennemi de toujours. Cette rivalité renvoie à un tops médiéval, la luttre entre Carême et Mardi-Gras.
  • Quart Livre (1552), Rabelais, éd. Gallimard, 1998, chap. XXXVII, « Comment Pantagruel manda querir les capitaines Riflandouille et Tailleboudin : avec un notable discours sur les noms propres des lieux et des persones », p. 353-355


Adoncques voyant frere Jean le desarroy et tumulte ouvre les portes de sa Truye, et sort avecques ses bons soubdars, les uns portans broches de fer, les aultres tenens landiers, contrehastiers, pælles, pales, cocquasses, grisles, fourguons, tenailles, lichefretes, ramons, marmites, mortiers, pistons, tous en ordre comme brusleurs de maisons : hurlans et crians tous ensemble espovantablement.
  • (fr) En voyant le désarroi et le tumulte, Frère Jean ouvre les portes de sa Truie, et sort avec ses bons soldats, les uns portant broches de fer, les autres tenant landiers, chenets, poêlles, pelles, chaudrons, grilles, fourgons, tenailles, lèchefrites, balais, marmites, mortiers, pilons, tous en ordre comme des brûleurs de maison : hurlant et criant épouvantablement.
  • La truie de bois est une parodie du cheval de bois homérique. Dans ce passage burlesque, les soldats sont des cuisiniers qui vont à la bataille contre les anguilles avec leurs ustensiles de cuisine.
  • Quart Livre (1552), Rabelais, éd. Gallimard, 1998, chap. XLI, « Comment Pantagruel rompoit les Andouilles au genoulx», p. 385


Le potestat
Mais en ceste vie mortelle, rien n'est beat de toute pars. Souvent quand sommes à tables, nous alimentans de quelque bon et grand vent de Dieu, comme de Manne celeste, aises comme peres, quelque petite pluye survient, la quelle nous le tollist et abat. Ainsi sont mainct repas perduz par faulte de victuailles.
  • (fr) Le gouverneur
    Mais en cette vie mortelle, rien n'est heureux de toute part. Souvent, quand nous sommes à tables, nous alimentant de quelque bon et grand vent de Dieu, comme une manne celeste, aises comme des seigneurs, quelque petite pluie survient, laquelle nous l'enlève et l'abat. Ainsi sont maints repas perdus par fautre de victuailles.
  • Sur l'île de Ruach, les habitants se nourrissent de vent. Le proverbe initial vient des Odes d'Horace, II, XVI, v. 27-28.
  • Quart Livre (1552), Rabelais, éd. Gallimard, 1998, chap. XLIIII, « Comment les petites pluyes abattent grans vents », p. 401


Epistemon
Et tout l'empire Christian estant en paix et silence, eulx seuls guerre faire felonne et trescruelle.
Homenaz
_ C'estoit (dist Homenaz) doncques contre les rebelles, Hæreticques, protestans desesperez, non obeissans à la saincteté de ce bon Dieu en terre. Cela luy est non seulement permis et licite, mais commendé par les sacres Decretales : et doibt à feu incontinent Empereurs, Roys, Ducz, Princes, Republicques et à sang mettre, qu'ilz transgresseront un iota de ses mandements : les spolier de leurs biens, les deposseder de leurs Royaumes, les proscrire, les anathemizer, et de leurs enfanz et parens aultres occire, mais aussi leurs ames damner au parfond de la plus ardente chauldiere qui soit en Enfer.
  • (fr) Epistemon
    Alors que le calme et la paix régnait dans tout l'empire chrétien, eux seuls se livrent à des guerres félonnes et très cruelles.
    Homenaz
    _ C'est (dit Homenaz) toujours contre les rebelles, les hérétiques, le sprotestants désespérés désobéissant à la sainteté de ce bon Dieu en terre. Cela lui est non seulement permis et licite : et doit mettre à feu et à sang Empereurs, Rois, Ducs, Princes, Républiques, s'ils transgressent d'un ioda de ses prérogatives : les spolier de leurs biens, les déposséder de leurs royaumes, les proscrire, les réprouver, occire leurs proches et leurs enfants, également damner leurs âmes au plus profond de la plus ardente chaudière de l'Enfer.
  • Homenaz présente aux voyageurs la terre des Papimanes, adorateurs du pape. Cette escale est l'occasion d'une satire du pouvoir temporel du Saint-Père, qui passe par les décretales, de sa quasi-déification et de la politique belliqueuse de Jules II. Rabelais soutient dans ces pages le gallicanistme visant à se déprendre de l'ingérence vaticane dans les affaires politiques de la France. Homenaz, qui en provençal renvoie à un homme fort et bête, caricature la personnalité de Jules III. La notion de « Dieu en terre » est issu du canon médiéval, qui voit dans le pape le véritable représentant du Christ.
  • Quart Livre (1552), Rabelais, éd. Gallimard, 1998, chap. L, « Comment par Homenaz nous feust monstré l'archetype d'un Pape », p. 449


Lors nous jecta sur le tillac plenes mains de parolles gelées, et sembloient dragée perlée de diverses couleurs. Nous y veismes des motz de gueule, des motz de sinople, des motz de azur, des motz de sable, des motz d'orez. Les quelz estre quelque peu eschauffez entre nos mains fondoient, comme neiges, et les oyons realement.
  • (fr) Alors il nous jeta sur le tillac de pleines poignées de paroles gelées, et qui semblaient être des dragées perlées de diverses couleurs. Nous y vîmes des mots de gueule, des mots de sinople, des mots d'azur, des mots de sable, des mots dorés. Lesquels, une fois échauffés dans nos mains, fondaient comme la neige et les entendions réellement.
  • Les couleurs de ces étranges paroles gelées sont empruntées à l'héraldique et correspondent respectivement à des variétés de rouge, de vert, de noir et de jaune.
  • Quart Livre (1552), Rabelais, éd. Gallimard, 1998, chap. LVI, « Comment entre les parolles gelées Pantagruel trouva des motz de gueule », p. 493-495


Œufz fritz, perduz, suffocquez, estuvez, trainnez par les cendres, iectez par la cheminée, barbouillez, gouildronnez, & cet.
  • (fr) Œufs frits, perdus, suffoqués, étuvés, traînés par les cendres, jetés par la cheminée, barbouillés, goudronnés, etc.
  • Extrait de la longue liste d'offrandes des Gastrolâtres au dieu Gaster.
  • Quart Livre (1552), Rabelais, éd. Gallimard, coll. « Folio », 1998, chap. LX, « Comment à leur Dieu sacrifioient les Gastrolatres », p. 529


Dés le commencement il inventa l'art fabrile, et agriculture pour cultiver la terre, tendent à la fin qu'elle luy produisit Grain. Il inventa l'art militaire et armes pour Grain defendre, Medicine et Astrologie avecques les Mathematicques necessaires pour Grain en saulveté par plusieurs siecles guarder : et mettre hors calamitez de l'air : deguast des bestes brutes : larrecin des briguans.
  • (fr) Dès les commencements, il inventa l'art du forgeron, ainsi que l'agriculture pour cultiver la terre, afin de produire des Céréales. Il inventa l'art militaire et les armes pour défendre les Céréales, la Médecine et l'Astrologie pour, avec les Mathématiques, pour conserver les Céréales en sécurité pendant plusieurs siècles, les préserver des calamités de l'air, des dégâts des bêtes sauvages, des larcins des briguands.
  • Messire Gaster, géant et symbole de la faim, est présenté comme l'origine du progrès technique : le génie humain vient de sa panse qui l'assujettit.
  • Quart Livre (1552), Rabelais, éd. Gallimard, 1998, chap. LXI, « Comment Gaster inventa les moyens d'avoir et conserver Grain », p. 533


Que diable est cecy ? Appellez vous cecy foyre, bren, crottes, merde, fiant, dejection, matiere fecale, excrement, repaire, laisse, esmeut, fumée, estront, scybale, ou spyrathe ? C'est (croy je) sapphran d'Hibernie. Ho, ho, hie. C'est sapphran d'Hibernie. « Sela, Beuvons. »
  • (fr) Que diable est-ceci ? Appelez-vous ceci chiasse, brenne, crotte, merde, fiente, déjection, matière fécale, excrément, repaire, laisse, émeu, fumée, étron, scybale ou spyrathe ? C'est (je crois) saphran d'Hibernie. Ha, ha, ha ! C'est safran d'Hibernie. « Certes. Buvons. »
  • Réveillé par un coup de canon, Panurge s'est conchié de peur. Il se plait à mélanger les registres vulgaire et recherché. Encore aujourd'hui, un repaire est un terme de chasse qui désigne une fiente de loup, la laisse celle du sanglier, l'émeu de l'oiseau de proie, en particulier du faucon. Les deux derniers mots sont empruntés au grec. L'Hibernie correspond à l'Irlande. « Sela » est un mot hébraïque qui termine certains psaumes.
  • Quart Livre (1552), Rabelais, éd. Gallimard, 1998, chap. LXVII, « Comment Panurge par male paour se conchia et du grand chart Rodilardus pensoit que feust un Diableteau », p. 587


Cinquième Livre[modifier]

À luy ont succedé certains Caputions nous deffendant les febves, c'est à dire, livres de pantagruelisme, et à l'imitation de Philoxenus et Gnato Siciliens anciens architectes de leur monachale et ventrale volupté, lesquels en plains banquets lors qu'estoient les frians morceaux servis crachoient sur la viande affin que par horreur autres que n'en mangent. Ainsi ceste hideuse morveuse catherreuse vermoluë cagotaille en public et privé deteste ces livres frians, et dessus vilainement crachent par leur impudence.
  • (fr) Certains porteurs de capuchons lui ont succédé en interdisant les fèves, c'est-à-dire les livres de pantagruélisme, et à l'imitation des Siciliens Philoxene et Gnato, anciens architectes de leur monacale et ventrale volupté , qui crachaient sur la viande lorsqu'étaient servis les morceaux de choix afin que les autres n'en mangent par dégoût. Ainsi, cette hideuse, morveuse et catharrheuse cagotaille vermoulue déteste ces livres succulents, en public et en privé, et crache vilainement dessus avec de impudence.
  • C'est à Pytaghore que les « porteurs de capuchons » succèdent. En effet, celui-ci et ses disciples, s'interdisaient de mangers les fèves parce qu'ils considéraient qu'elle contiendrait l'âme des morts. L'anecdote du crachat de Pihiloxene et de Gnato est tirée de Plutarque.
  • Œuvres complètes (1564), Rabelais, éd. Gallimard, 1994, Prologue, p. 731


Nos jeûnes furent terribles et bien épouvantables, car le premier jour nous jeunâmes à bâtons rompus, le second à épées rabatues, le troisième à fer émoulu, le quatrième à feu et à sang.
  • (fr) Nos jeunes furent terribles et bien espouventables, car le premier jour nous jeunasmes à battons rompus, le second à espées rabattues, le tiers à fer esmoulu, le quart à feu et à sang.
  • La critique du jeûne apparait plusieurs fois dans l'œuvre de Rabelais. Voir également la désapprobation du carême au chapitre XXVIII du Cinquième Livre.
  • Œuvres complètes (1564), Rabelais, éd. Gallimard, 1994, chap. I, « Comment Pantagruel arriva en l'Isle sonnante, et du bruit qu'entendismes », p. 731


Lors demandasmes à maistre Aeditue veu la multiplication de ces venerables oiseaux en toutes leurs especes, pourquoy là n'estoit qu'un Papegaut. Il nous respondit que telle estoit l'institution premiere, et fatale destinée des estoilles.
  • (fr) Au regard de la multiplication des oiseaux vénérables quelqu'en soit l'espèce, nous demandâmes à Maître Aeditue pourquoi n'y avait-il qu'un seul Papegaut. Il nous répondit que telle était l'institution originelle, et la fatale destinée des étoiles.
  • Œuvres complètes (1564), Rabelais, éd. Gallimard, 1994, chap. III, « Comment en l'Isle sonnante n'est qu'un Papegaut », p. 732-733


Maître Aeditue
« Vous aultres de l'autre monde dictes que l'ignorance est mere de tous les maux,et dictes vray : mais toutesfois ne la bannissez mie de vos entendements, et vivez en elle et par elle. C'est pourquoy tant de maux vous meshaignent de jour en jour : tousjours vous plaignez : tousjours vous lamentez : jamais n’estes assouvis : je le considere presentement. »
  • (fr) Vous autres de l'autre monde dites que l'ignorance est mère de tous les maux, et dites vrai : mais vous ne la banissez pourtant pas de votre raison, et vivez en elle et par elle. C'est pourquoi tant de maux vous tourmentent de jour en jour : toujours des plaintes, toujours des lamentations, jamais vous n'êtes satisfaits, je m'en rends compte à présent.
  • Œuvres complètes (1564), Rabelais, éd. Gallimard, 1994, chap. VII, « Comment Panurge racompte à maistre Aeditue l'Apologue du Rousin et de l"Asne », p. 740


Nous retournans à nos navires, je vis derriere je ne scay quel buysson, je ne scay quelles gens, faisant je ne scay quoy, et je ne scay comment, aiguisans je ne scay quel ferremens, qu'ils avoient je ne scay où, et ne scay en quelle maniere.
  • (fr) Retournant dans nos navires, je vis derrière je ne sais quel buisson, je ne sais quels gens, faisant je ne sais quoi, et je ne sais comment, aiguisant je ne sais quels objets de fers, qu'ils avaient je ne sais d'où, et je ne sais de quelle manière.
  • Les voyageurs sont sur une île où les objets de fers poussent sur des arbres.
  • Œuvres complètes (1564), Rabelais, éd. Gallimard, 1994, chap. IX, « Comment nous descendimes en l'Isle des ferrements », p. 747


J'en rencontray quatres autres, en un coin de jardin, amerement disputans, et prets à se prendre au poil l'un l'autre : demandant dont sourdoit leur different, entendy que , que jà, quatre jours estoient passez, depuis qu'ils avoient commencé disputer, de trois haultes et plus que Phisicales propositions : à la résolution desquelles, ils se promettoient montaigne d'or. La premiere estoit de l'ombre d'un Asne couillard : l'autre de la fumée d'une Lanterne : la tierce, du poil de Chevre, savoir si c'était laine.
  • (fr) J'en rencontrais quatre autres, dans un coin du jardin, disputant avec âpreté, prêts à en venir aux mains. Je demandais d'où venait leur différend, ce à quoi je m'entendis répondre qu'il débataient depuis quatre jours, de trois et plus que scientifiques recherches, à la résolution desquelles, ils se promettaient montagne d'or. La première concernait l'ombre d'un âne couillu, l'autre de la fumée d'une lanterne, la troisième, de la question de savoir si le poil de chèvre était de la laine.
  • Accueillis comme hôtes par la reine de la Quinte Essence, les voyageurs observent une série d'activités grotesques et stériles.
  • Œuvres complètes (1564), Rabelais, éd. Gallimard, 1994, chap. XXI, « Comment les officiers de la Quinte diversement s'exercent, et comment la dame nous retint en estat d'Abstracteurs », p. 775


Avoir par deux jours navigé, s'offrit à nostre veuë l'Isle d'Odes, en laquelle les vismes une chose memorable. Les chemins y sont animaux, si vraye est la sentence d'Aristoteles, disant argument invincible d'un animant, si se meut de soy-mesme. Car les chemins cheminent comme animaux. Et sont les uns chemins passans, chemins croisant, chemins traversant.
  • (fr) Après deux jours de navigation s'offrit à notre vue l'Île d'Odes, en laquelle nous vîmes une chose mémorable. Les chemins y sont des êtres animés, si la sentence d'Aristote est véridique, affirmant que la caractérisation irréfutable d'un être animé réside dans sa capacité à se mouvoir soi-même. Car les chemins cheminent comme les animaux. Et les uns sont chemins errants, à la ressemblance des planètes, d'autres des chemins passants, chemins croisants, chemins traversants.
  • Œuvres complètes (1564), Rabelais, éd. Gallimard, 1994, chap. XXV, « Comment nous descendismes en l'Isle d'Odes, en laquelle les chemins cheminent », p. 786


Bacbuc
Icy de mesmes beuvans de ceste liqueur mirifique sentirez goust de tel vin, comme l'aurez imaginé. Or imaginez, et beuvez.
  • (fr) De même, buvant de cette liqueur mirifique, vous sentirez le le goût du vin tel que vous l'aurez imaginé. Donc imaginez, et buvez.
  • Œuvres complètes (1564), Rabelais, éd. Gallimard, 1994, chap. XLII, Comment l'eau de la fontaine rendoit goust de vin, selon l'imagination des beuvans, p. 829


Bacbuc
Et nous maintenons à présent que non rire, mais boire est le propre de l'homme. Je ne dis pas boire simplement et absolument, car les bêtes boivent de même : je dis boire vin bon et frais. Notez amis que de vin divin on devient : et il n'y a d'évidence si certaine, ni de divination moins fallacieuse. Vos Académiciens l'affirment, analysant l'étymologie de vin oἶnoς comme signifiant force, puissance. Car il peut envahir l'âme de toute vérité, de tout savoir et philosophie. Si vous avez noté ce qui est écrit en lettres ioniques au-dessus de la porte du temple, vous avez pu entendre que la vérité est caché dans le vin. La dive Bouteille vous y envoie : soyez vous-même interprètes de votre entreprise.
  • (fr) Bacbuc
    Et icy maintenons que non rire, ains boire est le propre de l'homme. Je ne dy pas boiez simplement et absolument, car aussi bien boivent les bestes : je dy boire vin bon et frais. Notez amiz que de vin divin on devient : et n'y a argument tant seur , ny art de divination moins fallace. Vos Academiques l'afferment rendans l'etymologie du vin oἶnoς estre comme vis, force, puissance. Car pouvoir il a d'emplir l'ame de toute vérité, tout savoir et philosophie. Si avez noté ce qui est en lettres Ionicques escrit dessus la porte du temple, vous avez peu entendre qu'en vin est vérité caché. La dive Bouteille vous y envoie : soyez vous-mêmes interpretes de vostre entreprinse.
  • Bacbuc est la prêtresse qui interprète le mot de la Dive Bouteille qu'est venu entendre Panurge. Les Académiciens sont les disciples de l'école de Platon.
  • Œuvres complètes (1564), Rabelais, éd. Gallimard, 1994, chap. XXV, « Comment Bacbuc interprete le mot de la Bouteille », p. 834


Vos Philosophes qui se complaignent toutes choses estre par les anciens escriptes, rien ne leur estre laissé de nouveau à inventer, ont tort trop evident. Ce que du ciel vous apparoist, et appelez Phenomenes, ce que la terre vous exhibe, ce que la mer et autres fleuves contiennent, n'est comparable à ce qui est en terre caché.
  • (fr) Vos savants qui se plaignent que toutes choses sont écrites par les Anciens, qu'il ne reste rien de nouveau à inventer, ont bien évidemment tort. Ce qui vous apparait du ciel, et nommez phénomènes, ce que la terre vous exhibe, ce que la mer et autres fleuves contiennent, n'est pas comparable à ce qui est caché dans la terre.
  • Œuvres complètes (1564), Rabelais, éd. Gallimard, 1994, chap. XLVI, « Comment Panurge et les autres Rithment, par fureur poëtique », p. 840


Pantagrueline Prognostication pour l'an perpetuel[modifier]

La plus grande folie du monde est de penser qu'il existe des astres pour les Rois, les Papes et les gros seigneurs, plutôt que pour les pauvres et les malades, comme si de nouvelles étoiles avaient été créées depuis le temps du déluge, de Romuluas ou de Pharamond, lors de la nouvelle création des Rois : ce que Triboulet, ni Caihette n'affirmèrent, qui ont été pourtant de grands et célèbres savants.
  • (fr) La plus grande folie du monde est penser qu'il y ayt des astres pour les Roys, Papes et gros seigneurs, plustot que pour les pauvres, et souffreteux, comme si de nouvelles estoilles avoient esté créez depuis le temps du deluge, ou de Romulus, ou de Pharamond, à la nouvelle creation des Roys : ce que Triboulet, ny Caihette ne diroient : qui ont esté toustefois gens de hault sçavoir, et grand renom.
  • Triboulet et Caihette sont deux fous du roi.
  • Œuvres complètes, Rabelais, éd. Gallimard, 1994, partie Pantagrueline Prognostication pour l'an perpetuel, chap. V, « De l'estat d'aulcunes gens », p. 928


Citations sur Rabelais[modifier]

Une vigne prendra naissance
De l'estomac et de la pance
Du bon Rabelais, qui boivoit
Tousjours ce pendant qu'il vivoit


Marot et Rabelais sont inexcusables d'avoir semé l'ordure dans leurs écrits : tous deux avaient assez de génie et de naturel pour pouvoir s'en passer, même à l'égard de ceux qui cherchent moins à admirer qu'à rire dans un auteur. Rabelais surtout est incompréhensible : son livre est une énigme, quoi qu'on veuille dire, inexplicable ; c'est le visage d'une belle femme avec des pieds et une queue de serpent, ou de quelque autre bête plus difforme ; c'est le monstrueux assemblage d'une morale fine et ingénieuse et d'une sale corruption. Où il est mauvais il passe bien au-delà du pire : c'est le charme de la canaille ; où il est bon il va jusques à l'exquis et à l'excellent : il peut être le mets des plus délicats.


Notre curé de Meudon, dans son extravagant et inintelligible livre a répandu une extrême gaîté et une plus grande impertinence. Il a prodigué l'érudition, les ordures et l'ennui. Il n'y a que quelques personnes d'un goût bizarre qui se piquent d'entendre et d'estimer tout cet ouvrage. Le reste de la nation rit des plaisanteries de Rabelais, et méprise le livre ; on le regarde comme le premier des bouffons. On est fâché qu'un homme qui avait tant d'esprit en ait fait un si méprisable usage. C'est un philosophe ivre, qui n'écrivit que dans le temps de son ivresse.
  • Dictionnaire philosophique (1764), Voltaire, éd. Imprimerie de Cosee et Gaultier-Laguionie, 1838, Prior (de), p. 807


Pétrarque, lord Byron, Hoffmann et Voltaire étaient les hommes de leur génie ; tandis que Rabelais, homme sobre, démentait les goinfreries de son style et les figures de son ouvrage... Il buvait de l'eau en ventant la purée septembrale, comme Brillat-Savarin mangeait fort peu tout en célébrant la bonne chère.
  • Balzac tire cette métaphore du vin du chapitre VII de Gargantua.
  • La Peau de chagrin (1831), Honoré de Balzac, éd. Librairie Générale Française, 1995, Préface à la première édition, p. 47-48


Rabelais, que nul ne comprit ;
Il berce Adam pour qu’il s’endorme,
Et son éclat de rire énorme
Est un des gouffres de l’esprit !

  • Les contemplations (1856), Victor Hugo, éd. Librairie Générale Française, 1972, p. 461


La fiction était une décharge de contes extravagants ; avec sa grossièreté de déménageur, Rabelais vide la vieille maison fabuleuse. Et avec des délicatesses de déménageur pour transporter les porcelaines.
  • Dictionnaire égoïste de la littérature française, Charles Dantzig, éd. Grasset, 2005, p. 717


Le terme « scatologie » définit l’œuvre de Rabelais. Des idées vulgaires en un style lourd et logorrhéen qui donne aux humains l’illusion de la richesse. L’esprit le plus incroyablement fermé à la poésie, à la spéculation pure, et le moins apte à comprendre l’amour : l’âme d’un défroqué qui s’est fait médecin ; le rire trivial, non excusé par une irrévérence de surface, et qui révèle en Rabelais le personnage le moins inquiet et le plus bête : voilà les défauts multiples d’une œuvre dont le succès serait surprenant si la majorité des hommes n’était d’un niveau encore inférieur au sien.
  • Nouvelles Hébrides et autres textes (1923), Robert Desnos, éd. Gallimard, 1978, De l'Erotisme, p. 120


En vérité Rabelais, il a raté son coup. Oui, il a raté son coup. Il a pas réussi. Ce qu'il voulait faire, c'était un langage pour tout le monde, un vrai. Il voulait démocratiser la langue, une vraie bataille. La Sorbonne, il était contre, les docteurs et tout ça. Tout ce qui était reçu et établi, le roi, l'Église, le style, il était contre.
  • «  Rabelais, il a raté son coup  » (1959), dans Céline, Louis-Ferdinand Céline, éd. L'Herne, 1963, p. 44


François Rabelais, le plus grand écrivain de langue française, partit jadis en guerre contre le pédantisme des gens de la Sorbonne en jetant à leur face les mots saisis dans la langue populaire. Parlait-il pour ceux qui ont faim ? Débordements, ivresses, ripailles. Il mettait en mots l'extraordinaire appétit de ceux qui se nourrissaient de la maigreur des paysans et des ouvriers, pour le temps d'une mascarade, d'un monde à l'envers. Le paradoxe de la révolution, comme l'épique chevauchée du chevalier à la triste figure, vit dans la conscience de l'écrivain


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