Imre Kertész

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Imre Kertész en 2007

Imre Kertész, né à Budapest le 9 novembre 1929 et mort dans la même ville le 31 mars 2016, est un écrivain hongrois, survivant des camps de concentration et lauréat 2002 du prix Nobel de littérature.

Le Refus , Hongrie 1988, France 2001[modifier]

Et je suis resté dépouillé, les mains vides. Je me suis retrouvé face à mon cauchemar immatériel et informe : le temps. Il tendait vers moi sa bouche bêtement béante, et je n'avais rien à lui fourrer dans le gosier.
  • Le Refus, Imre Kertész (trad. Natalia Zaremba-Hurzsvai, en collaboration avec Charles Zaremba), éd. Actes Sud, 2001  (ISBN 2-7427-4207-7), p. 31


"Mais j'ai accepté", ajouta-t-il (en pensée) (comme s'il n'avait pas le choix) (alors qu'on a toujours le choix) (même quand il n'y en a pas) (et c'est toujours nous-mêmes que nous choisissons, comme on peut le lire dans une anthologie française) (que le vieux gardait sur l'étagère fixée au-dessus du fauteuil placé au nord du poêle en faïence qui occupait le coin sud-est de la pièce) (mais alors qui est celui qui choisit en nous, pourrait-on se demander) (à juste titre).
  • Le Refus, Imre Kertész (trad. Natalia Zaremba-Hurzsvai, en collaboration avec Charles Zaremba), éd. Actes Sud, 2001  (ISBN 2-7427-4207-7), p. 40-41


Oui, poursuivais-je ma réflexion, c'est peut-être là que se cache le diable : non dans le fait que l'homme tue, mais dans celui que les vertus indispensables au crime deviennent pour lui l'ordre du monde.
  • Le Refus, Imre Kertész (trad. Natalia Zaremba-Hurzsvai, en collaboration avec Charles Zaremba), éd. Actes Sud, 2001  (ISBN 2-7427-4207-7), p. 49


J'ose à peine poser cette question latente mais incontournable : combien de mains avaient fabriqué les presse-papiers à partir de têtes, les abat-jour et les reliures de livres en peau humaine tannée ?...
  • Le Refus, Imre Kertész (trad. Natalia Zaremba-Hurzsvai, en collaboration avec Charles Zaremba), éd. Actes Sud, 2001  (ISBN 2-7427-4207-7), p. 51


Moi aussi je voulais faire passer un message, sinon je n'aurais pas écrit de roman. Communiquer, à ma façon, selon mes idées, communiquer le matériau qu'il m'est possible de transmettre, mon expérience, moi-même, car tendu et alourdi par son poids comme une mamelle gonflée qui attend la traite libératrice, j'aspirais à communiquer... Sauf que, peut-être naturellement, je n'avais pas pensé à une chose : on ne peut jamais se communiquer à soi-même. Moi, je n'avais pas été emmené à Auschwitz par le train du roman, mais par le vrai.
  • Le Refus, Imre Kertész (trad. Natalia Zaremba-Hurzsvai, en collaboration avec Charles Zaremba), éd. Actes Sud, 2001  (ISBN 2-7427-4207-7), p. 72


Je ne pourrais définir ma situation, pour ne pas dire mon activité, qu'avec un mot qui n'existe pas. Je pourrais en donner une approximation si je disais, par exemple : j'inexiste.
  • Le Refus, Imre Kertész (trad. Natalia Zaremba-Hurzsvai, en collaboration avec Charles Zaremba), éd. Actes Sud, 2001  (ISBN 2-7427-4207-7), p. 72


"Je peux encore changer d'avis", se dit-il (comme s'il pouvait vraiment changer d'avis) (mais aussi comme s'il avait le choix) (mais aussi comme s'il savait pertinemment qu'il ne l'avait pas) (même si on a toujours le choix) (et même c'est toujours soi-même qu'on choisit, selon l'anthologie française déjà mentionnée) (que le vieux gardait sur l'étagère fixée au-dessus du fauteuil placé au nord du poêle en faïence qui occupait le coin sud-est de la pièce) (car c'est en cela que consiste notre liberté) (bien qu'on puisse se demander comment un tel choix peut être nommé liberté) (vu que nous n'avons pas d'autre choix que nous-mêmes).
  • Le Refus, Imre Kertész (trad. Natalia Zaremba-Hurzsvai, en collaboration avec Charles Zaremba), éd. Actes Sud, 2001  (ISBN 2-7427-4207-7), p. 82


(...), je ne trouve qu'une seule explication à ma passion entêtée : j'ai peut-être commencé à écrire parce que je voulais prendre ma revanche sur le monde. Pour prendre ma revanche et obtenir de lui ce dont il m'avait exclu. (...) C'est peut-être ce que je voulais, oui : rien qu'en imagination, certes, et avec des moyens littéraires, prendre en mon pouvoir la réalité qui, d'une manière très réelle, me tient en son pouvoir ; changer en sujet mon éternelle objectivité, être celui qui nomme et non celui qui est nommé. Mon roman n'est rien d'autre qu'une réponse au monde, le seul type de réponse que, visiblement, je sois capable d'apporter. A qui aurais-je pu apporter ma réponse puisque, comme on le sait, Dieu est mort ? Au néant, à mes frères humains inconnus, au monde. Ce n'est pas devenu une prière, mais un roman.
  • Le Refus, Imre Kertész (trad. Natalia Zaremba-Hurzsvai, en collaboration avec Charles Zaremba), éd. Actes Sud, 2001  (ISBN 2-7427-4207-7), p. 88


NB. La seconde partie du roman est consacrée à la vie et aux réflexions de Köves au sein du régime stalinien hongrois.

Le fait est qu'il avait écrit un roman ; mais seulement comme il aurait sauté de l'avion dans le néant inconnu lors d'une catastrophe aérienne s'il avait vu dans cet acte sa seule chance de survie ; et il lui apparut soudain clairement que désormais - pour parler de manière figurative - il ne pourrait toucher le sol qu'en tant qu'écrivain, ou bien se perdre dans le néant.
  • Le Refus, Imre Kertész (trad. Natalia Zaremba-Hurzsvai, en collaboration avec Charles Zaremba), éd. Actes Sud, 2001  (ISBN 2-7427-4207-7), p. 120


Il y a deux chemins, poursuivit-il, l'un est court et droit, mais il ne mène nulle part, l'autre est long et tortueux et on ne sait pas où il mène, mais en attendant, on sait au moins qu'on marche.
  • Le Refus, Imre Kertész (trad. Natalia Zaremba-Hurzsvai, en collaboration avec Charles Zaremba), éd. Actes Sud, 2001  (ISBN 2-7427-4207-7), p. 177


(...) on vit toujours comme il est impossible de vivre et il s'avère ensuite que c'était quand même notre vie (...)
  • Le Refus, Imre Kertész (trad. Natalia Zaremba-Hurzsvai, en collaboration avec Charles Zaremba), éd. Actes Sud, 2001  (ISBN 2-7427-4207-7), p. 232


"Je ne veux pas de cette chance", dit-il à son tour d'un ton sec, résolu, et il eut l'impression d'avoir déjà dit cela à quelqu'un, à une époque où il était moins endurci contre la chance que maintenant. "Je veux être un ouvrier, poursuivit-il, un bon ouvrier ; quand j'aurai un métier, alors...", il hésita puis il décida qu'il ne courait pas trop de risques en jouant cartes sur table : "on ne pourra pas m'embêter si facilement.'
  • Le Refus, Imre Kertész (trad. Natalia Zaremba-Hurzsvai, en collaboration avec Charles Zaremba), éd. Actes Sud, 2001  (ISBN 2-7427-4207-7), p. 235


Ainsi, Köves vivait dans une incertitude constante et pénible : presque chaque jour, il produisait un texte plus ou moins long que, du point de vue du style et d'un certain hermétisme paraissant lourd de sens, il façonnait autant que possible sur le modèle du rédacteur en chef, à savoir qu'il les corrigeait jusqu'à ne plus les comprendre lui-même, car tant qu'il les comprenait, il voyait bien qu'ils n'avaient aucun sens et que, par conséquent, ils ne pouvaient pas être bon, plus précisément, qu'ils ne pouvaient pas correspondre à l'objectif, dont bien sûr, et c'était peut-être là que résidait le problème, il n'avait pas la moindre idée ; en revanche, le temps de les finir, il ne savait plus s'ils étaient conformes à l'objectif, car il ne comprenait plus ses textes et encore moins quel but ils étaient censés atteindre.
  • Le Refus, Imre Kertész (trad. Natalia Zaremba-Hurzsvai, en collaboration avec Charles Zaremba), éd. Actes Sud, 2001  (ISBN 2-7427-4207-7), p. 257


Moi, le bourreau...

L'écriture, mesdames et messieurs, ce besoin particulier et inexplicable de donner à notre vécu une forme et une expression, est une tentation alléchante et dangereuse. De toute manière, nous ne pouvons pas percer le secret onirique de notre vie ; alors il vaut mieux modestement se taire et se retirer en silence. Pourtant, quelque chose nous pousse sous les projecteurs de l'attention générale et, pareils à des cabotins avides, nous nous efforçons de plaire et de glaner un peu de compréhension. Mais qu'est-ce que cela change à ce qui est arrivé et à ce qui doit se produire ?
  • Le Refus, Imre Kertész (trad. Natalia Zaremba-Hurzsvai, en collaboration avec Charles Zaremba), éd. Actes Sud, 2001  (ISBN 2-7427-4207-7), p. 286-287


(...) Qu'entendez-vous par morale ?

- La sensibilité pour la faute, répondit Berg.
- La faute ! dit Köves, toujours aussi emporté. Qu'est-ce que la faute ?
- L'homme, dit Berg avec un petit sourire froid.
- L'homme ! répéta Köves en écho. Quelle est la faute de l'homme ?
- Celle d'être accusé, dit Berg.
- Mais accusé de quoi ? s'entêta Köves.
- D'être fautif.
- Mais en quoi consiste sa faute ? insista Köves.
- A être accusé", et bien qu'ainsi la boucle fut bouclée, Köves s'écria comme s'il était impossible d'en sortir :
"Mais à quoi ça sert ?!
- Quoi donc ? demanda Berg.
- D'accuser l'homme !" et sur les lèvres charnues de Berg se dessina à nouveau un sourire froid et exsangue :
"A lui faire comprendre qu'il est superflu, et une fois qu'il l'a compris, à faire en sorte que dans sa détresse, il aspire à la grâce.
- Je comprends", dit Köves avant de se taire un instant, bien qu'il ne fût à l'évidence nullement satisfait de sa réponse.
Puis soudain, il demanda :
"Existe-t-il un autre monde que celui où nous vivons ?
- Comment existerait-il ? répondit Berg d'un air presque vexé. Il n'a pas le droit d'exister, ajouta-t-il sévèrement, comme pour l'interdire.
- Pourquoi pas ? demanda Köves.

- Parce qu'il serait l'accomplissement de notre déréliction. Il rendrait superflue notre superfluité."
  • Le Refus, Imre Kertész (trad. Natalia Zaremba-Hurzsvai, en collaboration avec Charles Zaremba), éd. Actes Sud, 2001  (ISBN 2-7427-4207-7), p. 301-302


"Parce que le tyran souffre toujours, répondit Berg visiblement calmé par le fait d'exprimer ses arguments. Il souffre, poursuivit-il, d'une part à cause de lui-même, d'autre part à cause de son ambition inassouvie : et comme il ne pourra jamais régner complètement sur les autres - et c'est effectivement impossible puisqu'il existe toujours un dernier refuge inexpugnable, ne serait-ce que l'asile ou la mort - il finit par se retourner contre lui-même. Vous savez, je pense parfois que le martyr est le tyran le plus parfait. C'est du moins la forme la plus pure de la tyrannie, devant laquelle tout le monde s'incline..."
  • Le Refus, Imre Kertész (trad. Natalia Zaremba-Hurzsvai, en collaboration avec Charles Zaremba), éd. Actes Sud, 2001  (ISBN 2-7427-4207-7), p. 305


Bien qu'il fût encore vivant, il avait déjà vécu sa vie, et il aperçut soudain cette vie sous la forme d'une histoire lointaine, accomplie, close et achevée qui lui était tellement étrangère qu'il en fut atterré. Et si ce spectacle éveillait en lui un espoir, celui-ci était inspiré uniquement par cette histoire, Köves avait seulement l'espoir que si lui était perdu, au moins son histoire pouvait-elle encore être sauvée. Comment avait-il pu imaginer pouvoir se cacher, pouvoir échapper au poids de sa vie, comme un animal errant à sa chaîne. Non, non ; il devait vivre ainsi, le regard fixé sur cette existence, et la regarder longuement, attentivement, émerveillé et incrédule, simplement la regarder jusqu'à y déceler quelque chose qui n'appartiendrait déjà presque plus à cette vie  ; quelque chose qui serait palpable, limité à l'essentiel, indiscutable et accompli comme une catastrophe, quelque chose qui se détacherait petit à petit de cette vie, comme un cristal de glace que n'importe qui peut prendre pour regarder ses structures définitives et le faire passer dans d'autres mains, en tant que produit étonnant de la nature...
  • Le Refus, Imre Kertész (trad. Natalia Zaremba-Hurzsvai, en collaboration avec Charles Zaremba), éd. Actes Sud, 2001  (ISBN 2-7427-4207-7), p. 343-344


"Il n'y qu'un seul roman que je puisse écrire",...
  • Le Refus, Imre Kertész (trad. Natalia Zaremba-Hurzsvai, en collaboration avec Charles Zaremba), éd. Actes Sud, 2001  (ISBN 2-7427-4207-7), p. 346


Car - il le comprendra et ce sera sûrement une surprise pour lui - plus important encore que le roman lui-même sera ce qu'il aura vécu à travers lui, par son écriture. C'était pourtant un choix et un combat : justement le genre de combat qui lui était destiné. Une liberté confrontée à lui-même et à son destin, une force qui s'affranchit des circonstances, un attentat qui sape le nécessaire, car qu'est une œuvre, qu'est toute œuvre humaine, si ce n'est cela ?...
  • Le Refus, Imre Kertész (trad. Natalia Zaremba-Hurzsvai, en collaboration avec Charles Zaremba), éd. Actes Sud, 2001  (ISBN 2-7427-4207-7), p. 348


Il faut s'imaginer Sisyphe heureux, dit la légende. Assurément. Mais lui aussi est menacé par la grâce. Sisyphe et le travail obligatoire sont, il est vrai, éternels ; mais le rocher n'est pas immortel. Après avoir été roulé tant de fois sur son chemin accidenté, il finira par s'user et un jour Sisyphe se rendra compte que, depuis longtemps,il pousse du pied un caillou gris dans la poussière en sifflotant.
     Et que peut-il faire alors ? Il se baisse (...)
  • Le Refus, Imre Kertész (trad. Natalia Zaremba-Hurzsvai, en collaboration avec Charles Zaremba), éd. Actes Sud, 2001  (ISBN 2-7427-4207-7), p. 349


Journal de galère , Hongrie 1992, France 2010[modifier]

Le suicide qui me convient le mieux est manifestement la vie.
  • Journal de galère, Imre Kertész (trad. Natalia Zaremba-Hurzsvai et Charles Zaremba), éd. Actes Sud, 2010  (ISBN 978-2-7427-9238-2), p. 33


Savez-vous ce qu’est la solitude dans un pays qui se célèbre tout le temps, qui se vautre dans l’ivresse incessante de l’autosatisfaction ? Eh bien, je vais vous le dire…
  • Journal de galère, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2010, p. 39


Ecrire la Vérité ou ma vérité ? Ma vérité. Et si ce n’est pas la Vérité ? Alors écrire l’erreur, mais la mienne.
  • Journal de galère, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2010, p. 40


Entre deux journées de travail, l’excitation grisante et les illusions des chercheurs d’or.
  • Journal de galère, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2010, p. 57


Dans un monde où le meurtre est érigé en système, la peur n’a plus cours. Après Auschwitz, certaines vieilles règles de comportement ne sont plus valables. Rejeter – et mépriser – la plainte comme seule forme légitime de contestation. Être sans destin est une œuvre fière, et on ne le lui pardonnera jamais (ni à moi).
  • Journal de galère, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2010, p. 59


Où ai-je lu cette excellente histoire du lord et de son majordome ? On demande à un jeune lord qui vit retiré pourquoi il ne prend pas part à la vie. Il est bouleversé par la question : qu’est-ce que la vie ? Eh bien, la société, les courses, les amis, se marier, fonder une famille, lui dit-on. Ah bon, répond alors le lord, si c’est ça la vie, mon majordome s’en charge pour moi.
  • Journal de galère, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2010, p. 67


Il ne fait pas bon être mort, mais avec le temps, on doit pouvoir s’y faire (comme à tout).
  • Journal de galère, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2010, p. 102


L’homme a toujours besoin de deux images simultanées : la « réelle » et l’« imaginaire ». Mais pourquoi ces guillemets ? Parce qu’aucune des deux n’est entièrement réelle ni imaginaire.
  • Journal de galère, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2010, p. 104


Toute œuvre porte en elle l’empreinte de son dieu, toute œuvre d’art porte celle de son auteur ; la transcendance d’un roman, par exemple, c’est l’auteur qui se cache derrière et qui – si c’est un véritable écrivain – reste mystérieux, insaisissable et cependant omniprésent comme le fameux Gott qui a soi-disant créé notre monde réel. Par conséquent, éliminer cette transcendance du roman est une erreur aussi grave qu’éliminer Dieu du monde ; bien qu’il soit dernièrement de bon ton de commettre ces deux erreurs. Voilà pourquoi tant le roman que la vie sont ennuyeux.
  • Journal de galère, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2010, p. 106


…les entrailles éternellement immobiles et de ce fait ineffablement transcendantes qu’on appelle, faute de mieux, l’âme.
  • Journal de galère, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2010, p. 150


On ne peut être intelligent qu’à l’intérieur de ses propres limites.
  • Journal de galère, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2010, p. 155


… la rivière, la vie comme image du baluchon tenu à bout de bras au-dessus de l’eau, avant d’être submergé.
  • Journal de galère, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2010, p. 183


L’homme n’est pas fait pour comprendre la vie, mais pour la vivre : par conséquent et dans cette mesure, l’homme est avant tout un être religieux.
  • Journal de galère, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2010, p. 203


L’homme ne change pas, il traverse différents états. Il faudrait à chaque fois lui donner un nouveau nom pour signifier qu’on n’a plus affaire à l’homme qu’on connaissait dans son état précédent.
  • Journal de galère, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2010, p. 222


Le camp de concentration est imaginable exclusivement comme texte littéraire, non comme réalité. (Pas même - et peut-être surtout pas - quand on le vit).
  • Journal de galère, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2010, p. 222


Qu’est-ce qui me distingue d’eux ? Eux, ils affrontent le(s) système(s), moi, pour ainsi dire, j’affronte Dieu.
  • Journal de galère, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2010, p. 231


Qui affronte un système doit croire en un autre système. Qui affronte Dieu n’a pas besoin de croire, seulement de vivre sous Son regard : c’est amplement suffisant comme foi.
  • Journal de galère, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2010, p. 231


On peut comprendre la Bible sans l’histoire, mais l’histoire sans la Bible, jamais.
  • Journal de galère, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2010, p. 244


La nature, cet éléphant décati et muet qui nous porte patiemment sur son dos.
  • Journal de galère, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2010, p. 252


La question n’est pas de savoir si Dieu existe ou non. L’homme doit vivre comme s’Il existait.
  • Journal de galère, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2010, p. 256


Une phrase de Cioran dont je me porte garant avec mon existence : "Un livre est un suicide différé".
  • Journal de galère, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2010, p. 261


Dieu est Auschwitz, mais aussi celui qui m’a fait sortir d’Auschwitz. Et qui m’a engagé, voire obligé à rendre compte de tout cela, parce qu’il voulait entendre et apprendre ce qu’il avait fait.
  • Journal de galère, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2010, p. 264


Quand tu seras mort, tu apprécieras le silence.
  • Journal de galère, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2010, p. 264


Dossier K. , 2006, Fr. 2008[modifier]

(…) Je devais en quelque sorte m’extraire de mon existence pour exister. Ce n’était pas tout à fait nouveau pour moi, puisque j’avais déjà vécu dans mes rêves au camp de concentration. J’avais appris à être présent tout en étant ailleurs. C’est une chose qu’on peut faire sous toutes les dictatures.
  • né d’entretiens, en 2003-2004, avec « mon ami et éditeur Zoltan Hafner »
  • Dossier K., Imre Kertész (trad. Natalia Zaremba-Hurzsvai et Charles Zaremba), éd. Actes Sud, 2008  (ISBN 978-2-7427-7238-4), p. 101-102


Qu’est-ce que tu appelles l’ordre du monde ?
- La magie quotidienne du mal.
  • Dossier K., Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2008, p. 109


(…) Les Enfants de Wotan. J’étais fasciné non seulement par l’audace du sujet, l’inceste, mais aussi par le style velouté, le spleen, l’ironie, le savoir… Tu imagines l’effet que m’a fait la lecture de phrases comme : "Une œuvre ! Comment faisait-on une œuvre ? Voyant la blanche femme épuisée, suspendue au sein de son ravisseur, il comprit son amour et sa détresse, et pressentit que là était le secret d’une vie féconde." A qui s’adressait ce texte, si ce n’était à moi ?

  • Dossier K., Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2008, p. 149-150


(…) Ces deux auteurs ont fait irruption dans ma vie comme une catastrophe, au sens de bouleversement radical.
  • Dossier K., Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2008, p. 151


Sauvegarde Journal 2001-2003 , 2012[modifier]

  • Sauvegarde Journal 2001-2003, Imre Kertész (trad. Natalia Zaremba-Hurzsvai et Charles Zaremba), éd. Actes Sud, 2012  (ISBN 978-2-330-01082-9), p. 1-223


11 avril 2001

(…) Qui m’a appris le plus de choses ? Thomas Mann, je crois (la détermination et la contenance de l’écrivain, le travail et la dignité, sans parler de la culture), et aussi Camus (tenir sans concession à la seule possibilité du seul matériau possible).(…)
  • Sauvegarde, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2012, p. 18


22 avril 2001

(…) Dans les relations humaines, le tact est le maximum qu’on puisse atteindre. Vous me demanderez : et l’affection ? Oui, mais il faut la pratiquer avec tact. (…)
  • Sauvegarde, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2012, p. 33


18 mai 2001

(…) Pourquoi prendrais-je la nationalité allemande ? Et pourquoi pas ? Je ne suis ni allemand, ni israélien, ni hongrois. Les plus solides attaches culturelles me lient à l’Allemagne. (…)
  • Sauvegarde, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2012, p. 39


26 mai 2001

(…) je considère que d’est une erreur fondamentale de ma part de ne pas pratiquer la langue d’une grande culture européenne, mais seulement le hongrois avec lequel je m’adresse en vain aux Hongrois ; quant aux autres, je ne peux les atteindre que par des intermédiaires, c’est-à-dire avec des distorsions, comme si je parlais dans un micro crachotant.
  • Sauvegarde, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2012, p. 44


31 juillet 2001

Le caractère romantique du naturalisme… Parce que le naturalisme n’est rien qu’un excès de romantisme ? À vrai dire, l’aridité commence là où s’arrête le romantisme, y compris le romantisme caché.

D’accord, mais le classicisme ? Qui a dit que Goethe n’était pas romantique ? Parce que lui-même s’en défendait ? Et Flaubert ? La désillusion lucide excluerait-elle le romantisme ? Allons…

Mais alors, me direz-vous, pour moi tout grand art, tout style de grande envergure serait romantique ? Bien sûr, vous répondrai-je. Il y a deux sortes d’art : le romantique et le mauvais…
  • Sauvegarde, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2012, p. 59


13 septembre 2001

New-York s’est effondré. Entraînant l’ordre mondial dans sa chute.(…)
  • Sauvegarde, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2012, p. 78


11 octobre 2001

On m’a embêté toute la matinée avec le prix Nobel que j’allais recevoir. J’ai répondu à mon éditeur que le prix Nobel est un prix que les autres reçoivent. (…) J’ai dit à Marci : J’écris sur Auschwitz ; si j’ai été déporté, ce n’était pas pour recevoir le prix Nobel, mais pour être tué ; tout ce qui m’arrive d’autre relève de l’anecdote. Qie je n’aie pas eu le prix Nobel est aussi absurde que si je l’avais eu.
  • Sauvegarde, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2012, p. 84-85


4 janvier 2002

Du 28 décembre au 3 janvier à Berlin. (…) La nuit de la nouvelle monnaie. Légère ivresse. Je suis entouré d’énergies qui me sont sympathiques. Quoi qu’on en dise, l’argent n’est pas dépourvu d’âme ; le nom de l’âme, c’est celui de la monnaie, c’est l’euro… On verra bien. L’union de l’âme et de la monnaie : si c’est possible, alors une nouvelle valeur pourra naître.
  • Sauvegarde, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2012, p. 98-99


12 mars 2002

De n’avoir jamais vécu m’aidera-t-il à mourir ?
  • Sauvegarde, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2012, p. 146


7 juin 2002

(…) J’ai du mal à suivre le rythme effréné de l’entreprise littéraire qui porte la marque Kertész. Je voudrais fermer la boutique. Mais alors je m’y enfermerais moi-même.
  • Sauvegarde, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2012, p. 146


12 octobre 2002

Trouver une interprétation au prix Nobel. Je crois que la décision de l’académie suédoise témoigne d’un grand courage. Tu l’as reçu parce que… Le motif importe peu. Il a été attribué à un auteur cultivé, aux capacités irréprochables, solitaire, sans défense et sans patrie, qui ne bénéficie d’aucun soutien "officiel", n’a pas de lobby, ne parle pas anglais et voit le monde dans des couleurs très sombres. Mais le voit. L’académie a voté pour des valeurs fragiles, et l’affection unanime avec laquelle cette décision a été accueillie est surprenante. – Quant à moi, je n’y crois pas encore. Depuis deux jours, je ne fais que donner des interviews ; je me comporte comme si je l’avais fait toute ma vie. Mais je suis loin de tout cela, quelque part à l’extérieur, j’ai vraiment le sentiment d’être Un autre. Grosse fatigue. Présence réconfortante de M. À ma grande surprise, je ne peux pas en dire plus.
  • Sauvegarde, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2012, p. 179


27 octobre 2002

(…) il est assez difficile de faire le lien entre Auschwitz et le prix Nobel. Ce n’était pas prévu que, soixante ans plus tard, je recevrais le prix Nobel de littérature. C’est une absurdité que seule l’ironie permet de concevoir.(…)
  • Sauvegarde, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2012, p. 181


17 janvier 2003

(…) Créer, ou plutôt rétablir l’espace mental où j’ai existé pendant si longtemps et qui est ma seule et véritable patrie.
  • Sauvegarde, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2012, p. 191


25 janvier 2003

Une remarque importante que je n’ai finalement pas incluse dans mon discours de Stockholm : "J’ai commencé à écrire et j’avais encore besoin de quatre ans pour arriver à une idée simple en apparence, que j’ai peu à peu prise en affection : un roman ironique déguisé en autobiographie qui s’oppose à la littérature concentrationnaire archi-connue, voire à la littérature tout court."
  • Sauvegarde, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2012, p. 194


28 février 2003

A vrai dire, je suis un irrécupérable conservateur. S’il y avait un dieu, je serais croyant.
  • Sauvegarde, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2012, p. 199

(voir Dossier K., Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2008, p. 189 : Si Dieu existait, je serais croyant)

1er juin 2003

La semaine dernière, visite chez Ligeti, à Vienne. Son état le cloue sur son canapé, mais ses yeux brillent encore malgré la maladie, la barbe blanche qu’il a laissée pousser lui donne un air transfiguré, émouvant. A la fin, comme des adolescents, nous avons parlé de Dieu. Il est athée. Il étudie la pensée scientifique, dit-il. Je lui demande s’il considère que le monde est connaissable et il me rétorque sans hésitation : oui. Je lui dis que si le monde était connaissable, cela ne vaudrait pas la peine de vivre ; il me demande pourquoi et je suis incapable de lui donner une explication.
  • Sauvegarde, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2012, p. 208


22 juillet 2003

Je conçois qu’il soit difficile de comprendre que j’ai un Buchenwald imaginaire qui ne correspond pas à la réalité. Ainsi, faire appel à moi en tant que témoin de Buchenwald, c’est comme m’infliger une blessure physique. Je suis alors expulsé de mon monde imaginaire et déporté à Buchenwald où je regarde autour de moi, terrifié. Il me serait difficle d’avouer ce secret. (…) …j’ai l’impression de vivre dans un malentendu permanent.
  • Sauvegarde, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2012, p. 215


L'Ultime Auberge , 2015[modifier]

  • L'Ultime Auberge, Imre Kertész (trad. Natalia Zaremba-Hurzsvai et Charles Zaremba), éd. Actes Sud, 2015  (ISBN 978-2-330-03896-0), p. 1-315


     L'organisme humain est formé de cellules et nous appelons "moi" ce conglomérat. Ces dernières ont une existante totalement indépendante et agissent en nous selon leurs propres lois ou, si l'on préfère, leurs caprices. Elles s'unissent et se divisent, provoquent ou subissent des mutations, etc.

     "Mais c'est terrible !" remarque B.
     Son ami, biologiste de renommée internationale, le regarde d'un air étonné.
     "Pourquoi ? demande-t-il, et la fourchette qu'il s'apprêtait à planter dans sa tranche de bœuf reste suspendue en l'air.
     - Parce que dans ce cas, nous n'avons aucun rapport avec notre maladie.
     - Que veux-tu dire ?
     - Elle n'a aucune légitimité morale, dit-il, essayant de formuler ses sentiments confus. Elle n'a rien à voir avec nos actes, n'entretient aucune relation avec nos vertus ou nos fautes.Nous ne pouvons pas en assumer la responsabilité, parce qu'elle ne vient pas de nous, mais d'un égarement de nos cellules et même si on dit qu'on attrape une maladie, celle-ci ne nous appartient pas. Elle n'a pas de métaphysique, ajoute-t-il.
     - De métaphysique ? répète le savant d'un air effaré. Qu'est-ce que c'est ?"
     B. garde le silence.
     "Si nos cellules nous gouvernent d'une manière aveugle et absurde, reprend-il, on ne peut pas prendre la vie tout à fait au sérieux.

     - Je ne vois pas de contradiction", dit le savant dans un sourire en entamant son rôti.
  • L'Ultime Auberge, Imre Kertész, éd. Actes Sud, 2015, p. 151-152


Les jours misérables de l'Europe. L'Europe s’aplatit devant l'islam, le supplie de lui faire grâce. Cette comédie me dégoûte. L'Europe meurt de sa lâcheté, de son incapacité à se défendre et de l'ornière morale évidente dont elle ne peut s'extraire depuis Auschwitz.

  • Citation rapportée d'Imre Kertész, L'Ultime auberge, Actes Sud, 2015, p245


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